2010 : Programmer la recherche ?

Colloque organisé par le Centre d’Alembert 5 & 6 mai 2010
affiche 2010

PROGRAMMER LA RECHERCHE ?
programme du colloque

Cette année 2010, le Centre d’Alembert s’interroge sur la programmation de la recherche, un questionnement qui fait suite au colloque 2009 sur les évaluations de la recherche, et renvoie au colloque de 2004 « Nouveaux concepts, nouvelles questions – aspects cognitifs et sociaux des problématiques et des dispositifs de recherche aujourd’hui ».

 

ALLOCUTIONS D’OUVERTURE
Jean-Jacques GIRERD, Vice-président du Conseil d’Administration Université Paris-Sud
Sylvie RETAILLEAU, Vice-doyen des Formations et de la Pédagogie, UFR des sciences d’Orsay

PROGRAMMATION DE LA RECHERCHE ? Inventaires et analyses.

Rémi BARRÉ, Professeur des universités au CNAM
« Programmation de la recherche : perspectives conceptuelles, institutionnelles et … actuelles »

Résumé :
On caractérisera, dans un premier temps, les trois fonctions d’un système national de recherche : orientation, programmation et recherche.
Dans un second temps, on définira les deux grandes configurations possibles des systèmes de recherche selon le degré d’intégration – séparation des fonctions, en particulier des fonctions programmation et recherche (rôle important des organismes de recherche versus rôle important des agences de financement et des universités); on montrera et on expliquera les différences entre les pays de ce point de vue et on caractérisera chaque modèle.
On présentera  alors le cas de la France, constituée depuis l’après seconde guerre mondiale sur le modèle à dominante intégrée ; on montrera les succès de cette approche mais aussi les interrogations qu’elle soulève depuis les années 90, compte tenu de la montée en puissance des universités, de l’évolution des dynamiques de la recherche (pluridisciplinarité), des nécessités de lisibilité et de l’émergence de l’Espace européen de la recherche.
On en arrivera ainsi aux réformes des années 2005 – 2008, qui tendent à faire évoluer, potentiellement, le système français vers le modèle à fonctions séparées.
On évoquera en conclusion, sous forme de scénario, les évolutions possibles des rapports entre universités et organismes de recherche.

Jean-Paul KARSENTY, Membre du Centre Alexandre Koyré (CNRS), ancien Secrétaire Général du Conseil Supérieur de la Recherche et de la Technologie
« Espaces culturels, projets politiques et programmations de la recherche : une introduction »

Texte de Jean-Paul Karsenty

Résumé :
Les dispositifs d’organisation ou de programmation des politiques de recherche et d’innovation devraient témoigner à tout moment des espaces culturels et des projets politiques d’ensemble dans lesquels ils s’inscrivent.
On montrera d’abord qu’en France, depuis 50 ans, ce fut de moins en moins le cas : d’une part, parce que la dimension stratégique des politiques françaises de recherche, rapportée à « la question de leur cap », n’a pas su refléter la tension qui a affecté notre pays entre nation et société ; d’autre part, parce que la dimension épistémologique qui préforme les choix de recherche, rapportée à « la question de notre modernité », de son état et de ses conditions permanentes, générales ou spécifiques, a été laissée en déshérence.
On montrera ensuite qu’en faisant dialoguer substantiellement ces deux dimensions stratégique et épistémologique, celle des pouvoirs et celle des valeurs, il est pourtant possible de dresser quelques référentiels de projets politiques génériques permettant d’élaborer consciemment des politiques de recherche et d’innovation ; on présentera brièvement ces référentiels.
Ce faisant, toujours à propos de la France, on aura montré qu’aucun projet politique d’ensemble, générique ou combiné, n’y est repérable aujourd’hui, et notamment aucun projet réflexif et anticipateur que nos politiques de recherche et d’innovation pourraient d’ailleurs contribuer à faire émerger.

Questions du public à Rémi Barré et Jean-Paul Karsenty

Blandine LAPERCHE, Professeur d’économie, Wesford Business School, Vice-Présidente Université du Littoral Côte d’Opale, Laboratoire de Recherche sur l’Industrie et l’Innovation, Réseau de Recherche sur l’innovation,
Dimitri UZUNIDIS, Professeur d’économie, Wesford Business School, Université du Littoral Côte d’Opale, Directeur du Laboratoire de Recherche sur l’Industrie et l’Innovation, Président du Réseau de Recherche sur l’innovation
« Politiques régionales d’innovation, programmation et compétitivité »

Présentation de Blandine Laperche

Résumé :
Quel est le rôle de l’observation des politiques régionales d’innovation pour la programmation de la recherche ? A  l’heure actuelle, dans la mondialisation et la fluidité des marchés, les pôles de recherche et de compétitivité régionaux constituent des voies d’entrée dans la compétition internationale des entreprises de grande et de petite tailles. L’attractivité des investissements, étrangers et nationaux, découle en effet des politiques conjoncturelles (fiscalité réduite par exemple) mais aussi et surtout des politiques structurelles (infrastructures, offre de qualifications et de compétences particulières, tissu économique dynamique). Le rapport de force qui s’instaure entre Etats et collectivités territoriales autour de la recherche est primordial dans la mise en place d’un programme de recherche qui soit bénéfique aux acteurs locaux. Globalement, au niveau national, le programme de recherche qui se dessine par le biais de ces rapports de forces multiples souffre alors d’une certaine  illisibilité, ce qui peut être préjudiciable aux objectifs de compétitivité. Nous illustrerons nous propos par le biais de la mise en évidence des objectifs multiples et variés des schémas régionaux d’innovation actuellement définis dans les différentes régions françaises.

 

Julie BOUCHARD, Maître de Conférences, Université Paris 13, Chercheur au Laboratoire des Sciences de l’information et de la communication (LabSic)
« État, planification et recherche : analyse du discours sur le retard »

Présentation de Julie Bouchard

Résumé :
Au cours du dernier demi-siècle et aujourd’hui encore, le discours sur le retard intervient de manière récurrente dans la politique de la recherche. Loin d’être un simple ornement discursif, ce discours agit dans la politique de la recherche suivant un contenu et des modalités variables sur lesquels nous nous attarderons dans cette communication. Comprendre les rhétoriques du retard à l’œuvre dans les politiques scientifiques et technologiques au cours du dernier demi-siècle, cela ne consiste pas en effet à mettre de côté le fait de discours pour mieux  procéder objectivement au tri des mythes et des réalités, mais plutôt à observer et à analyser les discours sur le retard en action, phénomènes discursifs constitutifs du passé et du présent des politiques scientifiques et technologiques. A travers un corpus précis, celui des rapports des commissions de la recherche (1953-1993) produits au sein du Commissariat général du Plan, il s’agit d’analyser les permanences et les transformations du discours sur le retard à la fois dans leurs formes et dans leurs contenus et d’en comprendre les évolutions. C’est le rapport de co-construction et de co-relation entre les rhétoriques du retard et les politiques de la science et de la technologie qui est, en outre, mis en évidence.

Questions du public à Blandine Laperche et Julie Bouchard

 

TÉMOIGNAGES :

Denis RAOUX, Directeur de recherches émérite au CNRS, ancien Directeur Général du synchrotron SOLEIL
« Les clés de la réalisation de SOLEIL : programmation rigoureuse, liberté d’initiatives et responsabilité de gestion »

Présentation de Denis Raoux

Résumé :
Du fait de l’ampleur du projet, la construction du synchrotron SOLEIL a fait l’objet d’une programmation verrouillée dès sa phase de préparation en 2001. Elle a porté essentiellement sur la structure à mettre en place pour une conduite efficace du projet, celle d’une société civile donnant une large autonomie de gestion à sa direction, et sur la programmation budgétaire de l’ensemble de la construction. Celle-ci a été parfaitement respectée depuis 2002 tant par les contributeurs, le CNRS, le CEA et les collectivités territoriales, que par SOLEIL qui a tenu le budget initial malgré les difficultés rencontrées.
Le programme scientifique a par contre été principalement élaboré par l’équipe de SOLEIL, le Conseil d’Administration assurant sa validation. Ce processus a permis l’expression des besoins des diverses communautés d’utilisateurs, à travers plus d’une vingtaine d’ateliers et autant de comités d’experts suivant la construction des lignes de lumière. L’équipe SOLEIL a aussi eu une grande liberté pour faire évoluer le projet technique, à condition de tenir le budget de référence. Tout ceci montre la compatibilité d’une programmation stricte avec une large initiative des acteurs scientifiques.
La réalisation de SOLEIL dans le budget alloué et dans des délais courts n’a été possible que du fait de la large responsabilité de gestion dont a disposé la direction, notamment pour la passation et le suivi des marchés, les recrutements et la gestion motivante des carrières. Ces divers points seront illustrés dans l’exposé, ainsi que les avantages et inconvénients du statut de société formellement autonome mais sous le contrôle de ses actionnaires CNRS et CEA.

 

Philippe MASSON, Membre du Human Spaceflight and Exploration Science Advisory Committee (HESAC) de l’Agence Spatiale Européenne (ESA)
« La programmation des projets spatiaux en Europe »

Présentation de Philippe Masson

Résumé :
En fonction de leur cadre de réalisation (nationale ou en collaboration internationale), la programmation des projets spatiaux relève soit de la responsabilité des agences spatiales nationales, comme le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES) en France, soit de celle de l’Agence Spatiale Européenne (ESA). Cette programmation est le résultat d’un long processus d’itérations successives au niveau des communautés scientifiques qui proposent des projets d’expériences spatiales, des agences spatiales nationales, et des Conseils de l’ESA. Au niveau européen, la politique spatiale est in fine de la responsabilité des Ministres en charge de l’Espace qui décident les grandes orientations des programmes spatiaux et de leur financement (contributions des états membres au budget de l’ESA). Dans cet exposé, il ne sera fait état que de la programmation des projets spatiaux ayant des objectifs scientifiques. La programmation de projets ayant d’autres objectifs (commerciaux, sécurité, etc.) relevant de la Commission de l’UE ne  sera pas abordée.

 

Table ronde : SCIENTIFIQUES ET CITOYENS FACE À LA PROGRAMMATION DE LA RECHERCHE
animée par : Baudouin JURDANT, Professeur, Université Paris Diderot, Paris 7

Catherine BOURGAIN, Chargée de Recherche à l’Inserm, Présidente de l’association « Fondation Sciences Citoyennes »
Pierre-Henri GOUYON, Professeur, Muséum d’Histoire Naturelle
Claudia NEUBAUER, Co-fondatrice et Directrice de la Fondation Sciences Citoyennes.
Jean-François PRUD’HOMME, Médecin-chercheur, Genopole
Christian VELOT, Enseignant-Chercheur (biologie) Université Paris-Sud, Fondation Sciences citoyennes

La programmation entre modèles, présupposés et réalité
MODÈLES ET PRÉSUPPOSÉS QUI PRÉSIDENT AUX PROGRAMMATIONS ET AUX « MANAGEMENTS »DE LA RECHERCHE

Philippe BRUNET, Maître de Conférences en sociologie, Directeur-adjoint du Centre Pierre Naville, Université d’Évry Val d’Essonne
« Effets de légitimité sur la programmation d’un nouveau domaine de recherches : desserrer la contrainte sur les cellules souches embryonnaires humaines – le cas I-STEM »

Présentation de Philippe Brunet

Résumé :
Toute programmation de la recherche publique résulte de processus de négociation auxquels prennent part les communautés scientifiques intéressées qui accèdent ensuite aux ressources financières pour réaliser leurs projets. Au-delà de ses nombreuses variantes et évolutions, elle repose sur un présupposé : par cet artifice incitatif et sélectif, la puissance publique marque le privilège de certains domaines de recherche sur d’autres. Ce faisant, toute programmation exprime les rapports de forces existants à l’intérieur et entre les disciplines. En ce sens, elle participe à la légitimation de tel ou tel domaine. On se propose d’examiner la situation paradoxale faite à un nouveau domaine de recherche, celui des cellules souches embryonnaires humaines (CSEH), du point de vue de la légitimité de sa programmation et quels effets elle induit sur la stratégie d’un laboratoire récemment créé, I-STEM. En effet, il s’agit du seul domaine de recherche qui soit, de sa définition à sa réalisation, strictement autorisé et contrôlé par la loi. On montrera alors que la légitimité de sa programmation n’étant jamais acquise puisqu’elle déborde les mondes professionnels où elle devrait être contenue, la stratégie du laboratoire vise à se constituer comme un point dense et incontournable de ce domaine en émergence par diversification de ses lieux de ressources et d’intéressement.

Isabelle BRUNO, Maître de Conférences en science politique à l’Université Lille 2, Chercheuse au Centre d’Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales (CERAPS)
« Comment gouverner un « espace européen de la recherche » et des « chercheurs-entrepreneurs » ? Le recours au management comme technologie politique »

Texte d’ Isabelle Bruno

Résumé :
Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne (2000-2010), le projet d’un « espace européen de la recherche » (EER) a été conçu sur le modèle d’un marché censé offrir un environnement compétitif à ses acteurs, les « chercheurs-entrepreneurs ». Loin d’exclure les pouvoirs publics de ce chantier, les promoteurs de l’EER ont produit un discours normatif et prescriptif sur la meilleure façon d’aménager et de piloter les « systèmes nationaux d’innovation », recommandant l’usage du savoir-faire managérial pour optimiser leurs performances organisationnelles. Cette communication se propose ainsi de dégager les règles gestionnaires de cet art de gouverner telles qu’elles sont exposées dans la documentation programmatique de l’EER produite tout au long de la dernière décennie. Autrement dit, elle entend examiner la technologie politique qui préside à la coordination des politiques scientifiques aux échelons européen, national et régional.

 

La programmation entre modèles, présupposés et réalité
LES ÉQUIPES ET LES CHERCHEURS « PRIS » DANS LA PROGRAMMATION

Michel CLAESSENS, Chef de l’Unité Communication de la Direction générale de la Recherche de la Commission Européenne
« Programmer la recherche : facile mais impossible »

Présentation de Michel Claessens

Résumé :
Programmer la recherche est une idée relativement récente, du moins à grande échelle, que l’on peut dater avec précision. Dans cet exposé, nous allons aborder quelques aspects de cette thématique, en particulier le rôle des scientifiques, la contribution des programmes européens et la programmation de la recherche au niveau politique. Nous terminerons par quelques réflexions sur le contrôle social et sociétal de la technoscience pour terminer par cette question centrale : contrôler la marche du progrès a-t-il un sens ? Et pour aller dans quel sens ? Dans une société qui repose aussi étroitement (et aussi peu démocratiquement) sur la science et la technologie, notre seule marge de manœuvre semble se réduire à anticiper l’évolution technoscientifique et à nous adapter à celle-ci ?

Aurélie TRICOIRE, Chercheur en sociologie, CSTB & Membre associé du CERTOP
« L’impact des critères de sélection des programmes de financement sur les pratiques scientifiques »

Présentation d’Aurélie Tricoire

Résumé :
Ma présentation porte sur l’impact des critères de sélection des programmes de financement sur les pratiques scientifiques. Je vais fournir une réponse sociologique empirique à la question de la standardisation des pratiques scientifiques par les instruments de politiques publiques, clef de la comparabilité en science. En effet, les classements internationaux (comme le Shanghai Ranking) d’organisations ou d’individus (en fonction du nombre de publications et/ou de brevets, des thématiques de recherche privilégiées ou du nombre et du type de contrats remportés) sont actuellement perçus comme les principaux critères de pertinence pour identifier l’excellence et donc allouer de manière présentée comme équitable des ressources aux universités, laboratoires, équipes ou chercheurs.
Mais j’entends démontrer que l’impact de ces critères d’attribution des financements sur les pratiques scientifiques dépasse ces compétences prises en compte quantitativement. Je vais montrer que cela influence également le comportement quotidien des chercheurs dans leurs laboratoires, depuis la conception de leur projet de recherche jusque dans leur pratique expérimentale en passant par le recrutement des partenaires.

 

Annick KIEFFER, Ingénieur de Recherche au CNRS et Wilfried RAULT, Chargé de Recherche au CNRS
« La précarité dans l’enseignement supérieur et la recherche (enquête et résultats) »

Présentation d’A. Kieffer et W. Rault

Résumé :
Le 20 octobre 2009, une grande enquête sur l’emploi précaire dans l’enseignement supérieur et la recherche publique (ESRP) en France a été mise en ligne. Construite par des membres de plusieurs laboratoires, elle visait à mieux connaître les personnels précaires des universités et des établissements de recherche. Au total, 4 409 personnes ont répondu au questionnaire. L’ensemble des répondant.e.s est constitué à la fois de chercheur.e.s (doctorant.e.s et docteur.e.s), de personnels techniques (ingénieur.e.s, bibliothécaires, etc.), d’enseignant.e.s vacataires ou contractuel.le.s, ainsi que de personnels administratifs (secrétaires, comptables, etc.). Cette enquête, à une telle échelle, et avec l’ambition de toucher tous les métiers et l’ensemble des établissements de l’ESRP, est la première en son genre. Restituant les trajectoires individuelles, elle permet d’approcher la réalité de la précarité pour les personnes qu’elle concerne directement : aussi bien dans ses modalités objectives (contrats indignes, rémunérations irrégulières et souvent basses, vulnérabilité à l’égard des supérieur.e.s hiérarchiques, morcellement du travail) que subjectives (sentiment de ne pas être considéré.e pour le travail effectué, difficultés à se projeter dans l’avenir). Les informations tirées du questionnaire sont très nombreuses et rendent compte d’une diversité de situations considérable. Nous en présenterons les grandes lignes.

 

La programmation entre modèles, présupposés et réalité
LES LOGIQUES SCIENTIFIQUES DE LA PROGRAMMATION

Danièle BOURCIER, Directrice de recherche au CNRS, Responsable CERSA/Département Droit Gouvernance et technologies, Membre du COMETS
« Découvrir l’inattendu dans une recherche programmée ? Liberté de la recherche et sérendipité »
Présentation de Danièle Boursier

Résumé :
La sérendipité est l’aptitude à faire une hypothèse juste à partir d’une observation surprenante : un fait ou une donnée ‘tombe’ sur un chercheur, sans que cette situation puisse être anticipée (sine anticipatio mentis disait Francis Bacon) donc sans hypothèse a priori et sans programmation, et alors qu’une autre  expérience était en cours.
De nombreux cas de découvertes par sérendipité ont été répertoriés et documentés dans l’évolution des sciences, des rayons X à la pénicilline et plus largement dans l’histoire de l’humanité. De nombreux chercheurs ont raconté l’expérience de regarder à côté des œillères de l’attendu et du cherché. La sociologie des sciences de Kuhn à Merton a valorisé ce processus empirique en le considérant comme parfaitement compatible avec les méthodes scientifiques plus traditionnelles.
Notre étude multidisciplinaire de la sérendipité a pour conclusion que ce processus est devenu difficilement compatible avec une programmation managériale et tendue de la recherche. Nous pensons que la sérendipité doit être reconnue et enseignée auprès des chercheurs comme une source de créativité  et d’innovation et qu’elle est inséparable de deux concepts forts, partagés par la communauté  scientifique : la passion de la connaissance (libido sciendi) et la liberté de la recherche.

Jean-François MINSTER, Directeur Scientifique, Total
« Quelques expériences de programmation de la Recherche : logique, méthode et bénéfices »
Présentation de J.-F. Minster

Résumé :
Il est parfois exprimé que les découvertes ne pouvant être anticipées, il est inutile de programmer la Recherche. Cependant, selon mon expérience à l’INSU, à l’Ifremer, auprès de l’ANR, au sein du Marine Board en relation avec le PCRD ou maintenant au sein de Total, la programmation de la Recherche, conçue comme un mécanisme d’animation et d’organisation du travail, peut être très efficace et bénéfique, que ce soit pour des objectifs finalisés ou pour la création de connaissance.
D’une part, l’animation est une démarche importante pour débattre des questions posées et élaborer les projets, en particulier quand il s’agit d’étudier des objets complexes et des sujets interdisciplinaires. Par ailleurs, l’organisation d’un programme aide à la sélection des projets, en particulier lorsque les moyens sont inférieurs au nombre d’idées (ce qui devrait logiquement être la règle), mais à condition que le processus laisse place à l’inattendu et au risque. Ensuite, le processus de programmation permet de focaliser une partie des moyens, par exemple lorsque le coût des projets clés est élevé (équipement, taille des équipes, travail de terrain, selon les disciplines). Enfin, la programmation peut permettre de créer une convergence de projets autour d’un sujet, où finalement la synthèse des résultats du programme est plus riche que la somme des projets. On notera que tous ces éléments ne se rencontrent pas dans un « programme blanc ».
Ces objectifs peuvent être atteints à condition de porter une grande attention à la gestion du programme : il doit être animé voire « co-construit » à toutes les étapes du processus, en relation avec les scientifiques concernés (ce doit être « leur » programme) pour tirer parti de leurs compétences et de leurs idées et leur permettre d’atteindre des objectifs scientifiques qui les dépassent. Le responsable du programme a souvent une responsabilité essentielle dans la prise de risque, ou pour les décisions sensibles (comme les financements les plus importants), et aussi pour assurer que le programme tire le bénéfice des travaux réalisés au sein des projets (colloques de fin de programmes etc). Le responsable de programme a donc un vrai rôle de Direction Scientifique.
Les orientations d’un programme doivent bien entendu être révisées régulièrement, en fonction de l’avancée des connaissances, de l’atteinte des objectifs, ou de l’émergence de nouvelles questions. Ce doit être fait à un rythme qui ne soit pas trop rapide pour permettre au programme de se développer ; en particulier, il est souvent constaté que la première année n’est pas très porteuse en termes d’idées nouvelles ou de projets intéressants,  tout en ayant permis à des projets exploratoires de se faire. On peut aussi noter que la révision d’un programme peut être nécessaire pour casser les frontières de la « niche écologique » au sein de laquelle les « communautés scientifiques » finissent par s’installer, ou pour accompagner la migration de ces communautés vers de nouveaux enjeux.
Ce type de démarche n’est pas si récent, notamment dans les disciplines des Sciences de l’Univers. A titre d’exemple, c’est le programme « Géodynamique » de l’INAG, qui a permis l’étude du Tibet dans les années 70, ce qui a positionné les équipes françaises comme leader sur le sujet des collisions continentales.
C’est la programmation de l’INSU qui a accompagné la « migration vers les sujets de surface » de la Terre d’un nombre important de géochimistes et de géophysiciens, dans les années 90.
Plus récemment, c’est bien l’organisation du « Défi Golfe de Gascogne » qui a permis en 4 ans aux halieutes, océanographes, spécialistes de la pollution et des écosystèmes marins de l’Ifremer de démontrer que l’augmentation des populations de poissons tropicaux dans le golfe de Gascogne était bien explicable par le réchauffement de l’eau, et non par des effets de la surpêche, ou de la pollution côtière ou encore d’autres changements naturels du milieu.
La NSF a de son côté analysé il y a une dizaine d’années le bénéfice des grands programmes internationaux et montré que ces programmes avaient permis d’étudier certains grands sujets comme le climat et avaient produit un nombre élevé de publications de rupture dans les connaissances de ce milieu.