2012 : Effets de genre dans les sciences et les technologies

Colloque organisé par le Centre d’Alembert les 9 et 10 mai 2012

EFFETS DE GENRE DANS LES SCIENCES ET LES TECHNIQUES
Programme du Colloque

 Les enregistrements vidéo, les résumés des interventions et les présentations des conférenciers sont en ligne
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ALLOCUTION D’OUVERTURE
Guy COUARRAZE, Président de l’Université Paris-Sud

QUE NOUS DISENT LES SCIENCES SUR LE MASCULIN ET LE FÉMININ ?

Catherine VIDAL, Neurobiologiste, Directrice de Recherche à l’Institut Pasteur
« Cerveau, sexe et préjugés »

Résumé :
Avec l’avancée des connaissances en neurosciences, on serait tenté de croire que les idées reçues sur les différences cérébrales entre les femmes et les hommes ont été balayées. Or médias et magazines continuent de nous abreuver de vieux clichés qui prétendent que les femmes sont « naturellement » bavardes et incapables de lire une carte routière, alors que les hommes seraient nés bons en maths et compétitifs. Ces discours laissent croire que nos aptitudes et nos personnalités sont câblées dans des structures mentales immuables. Or les progrès des recherches montrent le contraire : le cerveau, grâce à ses formidables propriétés de « plasticité », fabrique sans cesse des nouveaux circuits de neurones en fonction de l’apprentissage et de l’expérience vécue. Garçons et filles, éduqués différemment, peuvent montrer des divergences de fonctionnement cérébral, mais cela ne signifie pas que ces différences sont présentes dans le cerveau depuis la naissance, ni qu’elles y resteront ! L’objectif de cette conférence est de donner à comprendre le rôle de la biologie mais aussi l’influence de l’environnement social et culturel dans la construction de nos identités de femmes et d’hommes.

Frank CÉZILLY, Écologie Comportementale, Professeur à l’Université de Bourgogne, UMR CNRS 6282 Biogéosciences & Institut Universitaire de France.
« Existe-t-il un rôle conventionnel des sexes : l’apport de l’écologie comportementale ? »

Résumé :
L’écologie comportementale s’intéresse à la façon dont l’écologie des espèces façonne leur comportement. Une branche importante de cette discipline étudie comment le processus de sélection sexuelle, introduit dès 1859 par Charles Darwin, interagit avec les caractéristiques environnementales pour déterminer les régimes d’appariement, c’est-à-dire la manière dont les différentes espèces s’organisent au plan socio-sexuel pour assurer leur reproduction. Nous nous intéresserons ici aux conséquences de cette organisation sur le comportement des mâles et des femelles. Au sein des différents régimes de reproduction (monogamie, polygynie, polyandrie et polygynandrie), le rôle joué par chaque sexe dans différents registres comportementaux (défense territoriale, soins aux jeunes) varie très largement entre espèces et, éventuellement, à l’intérieur des espèces. Nous nous attacherons à la fois à fournir une interprétation adaptationniste des différences comportementales entre sexes et à prendre en compte les différences de personnalité pouvant exister entre individus à l’intérieur de chaque sexe. La pertinence du concept de « rôles conventionnels des sexes » sera appréciée sur cette double base.

Priscille TOURAILLE, Socio-anthropologue, Chargée de recherche au CNRS, UMR 7206, Muséum national d’Histoire naturelle
« Définir les individus par leur fonction de procréation : mais à quoi ça sert ? »
Présentation de P. Touraille (pdf)

Résumé :
La catégorisation homme/femme définit les personnes par deux formes typiques d’organes génitaux et se présente comme une justification biologique d’un rôle différencié dans la fonction de procréation à l’âge adulte. À quoi sert de diviser les membres d’une société sur la base de cette fonction ? Contrairement à ce qu’affirment certains discours ordinaires dans les sociétés occidentales, le désir de procréer est tout sauf naturel. Dans le sens suivant : on ne le retrouve pas dans la Nature. Pour vouloir faire des enfants, il faut d’abord avoir conscientisé le lien entre une pratique sexuelle particulière et la gestation. Le fait que cette conscience soit une spécificité de l’espèce humaine a été trop peu élaboré par la pensée philosophique et scientifique occidentale. Or, savoir comment se font les enfants fait de la procréation un des rares évènements biologiques à pouvoir être évité, et donc, aussi, imposé socialement. Les études sur le genre donnent à comprendre une réalité sociale restée longtemps invisible dans les sciences : la catégorisation de genre est toute entière fondée sur une canalisation vers l’hétérosexualité, qui va de pair avec une tabouisation et une condamnation relative de toutes les formes de sexualité non conceptive. La catégorisation de genre représente donc, ultimement, une canalisation vers la procréation ; elle sert à effacer théoriquement l’idée que procréer, ou ne pas procréer, puisse relever d’un choix existentiel, fondamentalement humain.

Geneviève FRAISSE, Philosophe, Directrice de Recherche au CNRS
« À côté du genre, la catégorie vide »

Résumé :
Entre l’invention remarquable du concept de genre et le modèle usagé de la dualité nature/culture, il faut faire place à un questionnement propice à l’historicité, à l’histoire possible des sexes. Entre l’ambition conceptuelle et la ritournelle anthropologique, on peut tracer un chemin qui ne soit pas seulement à rebours : le social fabriquant le biologique, l’identité triomphant du politique. Comment l’historicité peut-elle alors déjouer le rappel permanent de l’atemporalité des sexes, l’injonction à la répétition immuable de leur rapport ; comment permet-elle d’échapper à la «  ritournelle  » ?
Références Bibliographiques (pdf)

QUE FONT LES FEMMES À LA SCIENCES ?

Isabelle STENGERS, Philosophe, Université Libre de Bruxelles
« Les filles infidèles de Virginia Woolf »

Résumé :
Dans Trois Guinées, alors que les universités anglaises s’ouvraient aux filles, Virginia Woolf conseille à celles-ci d’éviter de s’engager dans les carrières qui pourraient s’ouvrir à elles. « Think we must – quelle est cette civilisation où nous nous trouvons ? » – et les universités ne sont pas un bon lieu pour penser. Se définir comme « fille infidèle de Virginia Woolf » pour une femme de ma génération, qui a connu, étudiante, la brève ouverture post-68, c’est d’abord reconnaître que Woolf avait raison : les universités ont été incapables de défendre ce que demande la pensée, et l’entrée des femmes dans la carrière n’a pas fait de grande différence. Mais c’est aussi se situer en position spéculative – penser avec le possible, non le probable. Et cela à une époque, semblable en cela à celle où écrivait Virginia Woolf, où le probable est plus qu’angoissant. Puisque nous sommes ici, à l’université, quelle différence pourrions-nous faire, à quoi devrions-nous être attentives ?

Annick JACQ, Biologiste, Chargée de Recherche à l’IGM, Université Paris-Sud
« Science féminine, science masculine, la question a-t-elle un sens ? »
Présentation de A. Jacq (pdf)
Texte A. Jacq (pdf)

Résumé :
Les femmes revendiquent à juste titre de tenir toute leur place dans la pratique scientifique. Mais ne peut-on se demander si leur entrée dans la science, de plus en plus importante même si elle reste insuffisante, ne serait pas de nature à changer la science ? D’une « science masculine », qui renvoie pour certain(e)s à la domination d’une nature assimilée à la féminité, doit-on passer à une « science de femmes », heuristiquement différente et plus respectueuse du monde qu’elle étudie ? Et cette « science de femmes » contribuerait-elle,  par là même, à une meilleure science ?

Ce faisant, comment l’idée d’une telle science « féminine » s’accorde-t-elle avec les valeurs d’objectivité et de neutralité, censées être au cœur de la connaissance scientifique ? L’idée même d’une « science féminine n’est-elle pas un retour en force de la naturalisation des différences culturelles entre masculin et féminin, dénoncée par nombres de chercheurs(ses) ? Le processus d’acculturation auquel est soumis tout jeune chercheur(se) et la forte institutionnalisation des pratiques scientifiques, permettent-ils réellement de faire de la science autrement, que l’on soit homme ou femme ? La question n’est-elle pas plutôt de savoir comment les représentations que la société nous offre de la femme affectent la manière de faire de la science, tant celle des hommes que celle des femmes.
Et pour aller dans le même sens, ne faudrait-il pas changer la science pour qu’elle puisse intégrer pleinement les acteurs venant de cultures dominées, les femmes comme ces nouvelles générations d’étudiants issus de l’émigration ?

 

Table ronde : ET QU’EN DISENT-LES FEMMES SCIENTIFIQUES ?
Claire LACOUR, Maître de conférences en mathématiques à l’Université Paris-Sud
Annie SAINSARD-CHANET, Professeure de génétique à l’Université Paris-Sud
Christine EISENBEIS, Directrice de recherche en informatique à l’Inria
Josquin DEBAZ, Historien des sciences et sociologue au GSPR (EHESS), porte-parole de femmes au XIXème.

Textes publiés sur Jeanne Villepreux-Power
dans Pour la science 
dans Rayonnement du CNRS, n°58

 

POURQUOI ET COMMENT PRENDRE EN COMPTE LE GENRE DANS LES RECHERCHES ET LES APPLICATIONS ?

Danièle MEULDERS, Professeure d’Économie à l’Université Libre de Bruxelles, Directrice adjointe du MAGE
« Le mauvais genre de l’économie »
Résumé :
La science économique est largement dominée par les hommes et cette dominance a influencé les hypothèses, théories et méthodes de travail développées et utilisées. Alors que le discours associé à la recherche de qualité, est celui de l’objectivité et de l’universalisme, il apparaît que le choix des thèmes traités et des méthodes d’analyse relève inévitablement de constructions sociales qui, dans le cas de l’économie, sont le reflet de la tradition masculine. La science économique n’est pas neutre, il ne s’agit pas d’une science universelle, elle est émaillée d’hypothèses sexuées. Une approche féministe de l’économie implique le questionnement systématique de toutes les théories économiques par rapport au genre.

Catherine LOUVEAU, Sociologue, Professeure en STAPS à l’Université Paris-Sud
« Résister à la domination masculine ; quelles conditions pour les recherches sur femmes, sexe, genre dans le champs sportif ? »
Résumé :
Laboratoire « privilégié » d’analyse du social (N. Elias), le sport (au plan des pratiques, institutions, politiques, images, discours, symboles…) est un analyseur puissant des Rapports sociaux de sexe, des catégorisations sociales de « la féminité »/« la masculinité » ; c’est une pratique sociale efficace pour observer la construction et la manifestation, pratiques et symboliques, de la domination masculine. On peut en dire autant s’agissant des conditions de possibilité/impossibilité des travaux de recherche menés : la domination ne s’exerce pas seulement sur les terrains, elle est aussi à l’œuvre quand il s’agit d’analyser le sport (ou plus exactement le champ sportif) avec la grille de « lecture » de la problématique de genre.

Ce sont les conditions de l’exercice de la recherche et de la production de connaissances qui sont examinées ici. L’analyse proposée interroge les formes que prend la domination masculine s’agissant des questions de recherche posées et de leur réception/légitimité, la construction des problématiques et les voies de théorisations… Ce faisant, tentant de dégager les points de résistances à l’investigation sociologique sur ces objets – nous interrogeons aussi les rapports sociaux de sexe au sein de nos univers « intellectuels », universitaires.

Ce sont des éléments rencontrés dans la pratique même de la recherche et dans son inscription institutionnelle qui seront mentionnés ; la domination se repère au travers d’indicateurs concrets.

Ilana LÖWY, Historienne des sciences, Directrice de recherche à l’Inserm, Cermes 3.
« Assistance médicale à la procréation : une reproduction des schémas du genre ? »
Résumé :
Depuis la naissance de Louise Brown en 1981, on assiste à une expansion rapide des techniques d’assistance médicale à la procréation. Ces techniques sont aujourd’hui à l’origine d’environ 2% des naissances en France. Ma communication retracera brièvement l’histoire de l’AMP, puis analysera l’encadrement légal de ces pratiques, dans plusieurs pays, et leurs conséquences. Je m’attarderai sur la prise en charge (ou non) de ces approches par l’assurance maladie, sur la commercialisation – ouverte ou occulte –  des gamètes, sur les débats autour des mères porteuses,  sur la définition de « l’âge naturel de la procréation » pour les femmes et les hommes, sur l’accès des femmes seules ou en couples homosexuels aux techniques de procréation assistée et sur l’imaginaire qui accompagne l’utilisation des gamètes. Je montrerai que des  techniques novatrices d’assistance médicale à la procréation renforcent très souvent les schémas très traditionnels des relations de genre.

 

QUELLES DISTRIBUTIONS DU FÉMININ ET DU MASCULIN DANS L’ENSEIGNEMENT ET LA RECHERCHE ?

Minna SALMINEN, Associate Professor, Université d’Uppsala (Suède), Center of Gender research Institute for advanced studies on science,
 technology and society (IAS-STS)
« Choosing an education without knowing the content : Secondary school students’ reactions to PR material from engineering and nursing programs in Swedish universities »
Présention de M. Salminen (pdf)
Texte (pdf)

Résumé :
The underlying assumption of the study is that it is not only the technical content of engi­neering education, but also the educational framework that deters young people, and parti­cu­lar­ly girls from engineering studies. In this project, descriptions of engineering programs and nursing programs in Swedish university catalogues, as expressions of the educational ethos of the programs, were compared. Results show that both descrip­tions draw on gendered professional and educational discourses, so that nursing programs mainly, but not without exceptions, draw on stereotypically female characteristics and engineering programs seem to direct themselves to young men. However, when prospective students choose programs, the picture is more mixed. A questionnaire study among secondary school students showed that when the subject content was removed from the program descriptions, nursing programs were more attractive than engineering programs for both boys and girls. The conclusion of the study is that engineering programs would have much to gain by mirroring themselves in, for example, nursing programs, with which they often co-exist but rarely interact in Swedish university colleges. On the first stage, this would aid them in expressing more clearly some features which already exist on the program but are not particularly brought up, and in a longer run this could help them to reflect on issues which could and should be integrated in the programs to attract more female, and possibly even male students.

Véronique CHAUVEAU, Professeure de mathématiques en lycée, Présidente de l’association « femmes et mathématiques »
« Femmes et mathématiques : une association singulière ? »

Résumé :
De vieux clichés affirment que les femmes ne savent pas se repérer dans l’espace, que les hommes ont la bosse des maths et qu’ils aiment « naturellement » la compétition…. Et bien sûr, cela remonterait à l’époque des cavernes.
Le pourcentage de femmes dans les études supérieures de mathématiques est désespérément faible et semble donner raison à ces clichés désuets : 40 ans de mixité à Polytechnique et toujours 15% filles, 27 % de femmes en écoles d’ingénieurs etc. Les questions que nous nous posons sont nombreuses : les femmes ont accès à ces savoirs scientifiques depuis peu de temps, est-ce que cela explique la lenteur de l’évolution de la place des femmes dans ces disciplines ?
Les premières explications proposées restent historiques, puis biologiques malgré les réfutations des neurobiologistes. Les progrès dans ce domaine permettent de comprendre que la plasticité du cerveau est grande et déterminante. Nous en envisagerons bien d’autres et chercherons si elles sont pertinentes .

Hélène GISPERT, Professeure en histoire des sciences, Université Paris-Sud et
Hélène GUENNOU, Maître de conférences retraitée, conseillère de la vice-présidente Ressources humaines de l’Université Paris-Sud.
« La cartographie des genres à l’université Paris-Sud »
Présentation de H. Gispert et H. Guennou (pdf)

Résumé :
L’université Paris-Sud est une université pluridisciplinaire avec un secteur sciences, un secteur santé, un secteur SHS. Y a-t-il mixité, parité, égalité entre hommes et femmes à l’université ? Nous chercherons, tout d’abord, à dresser le tableau de la répartition hommes/femmes par disciplines et par grades parmi les enseignants chercheurs (plus de 1800 en 2010) de l’université. Puis nous regarderons ce qu’il en est parmi les doctorants (plus de 2500 en 2011), principale source de recrutement des enseignants chercheurs. Enfin nous examinerons, en fonction des disciplines,  les différences de carrières des enseignants-chercheurs hommes et femmes, en terme de promotions, de primes, de salaires sur l’université. Si la situation est très variable d’une discipline à l’autre, elle reste dans tous les cas très inégalitaire, constat dont la force ne préjuge en rien d’une prise de conscience de chacun/chacune et de la collectivité académique sur Paris-Sud.

Nicole MOSCONI, Professeure émérite en sciences de l’éducation à l’Université de Paris-ouest Nanterre La Défense
« Femmes et hommes dans leur rapport au savoir savant ».
Texte N. Mosconi

Résumé :
Si l’on veut comprendre les rapports qu’entretiennent les femmes et les hommes avec les savoirs savants, il est nécessaire de replacer ces rapports dans le cadre socio-historique où ils prennent place. La place que les femmes ont occupée ou pas, occupent ou n’occupent pas dans l’appropriation, la transmission et la production des savoirs savants dépend de cette structure d’ensemble de la société.  Je voudrais d’abord préciser ce que j’entends par rapport aux savoirs savants ; puis montrer que l’exclusion des femmes des institutions qui permettent d’accéder aux savoirs savants (contrôlées par les hommes) constituent les femmes savantes en « exceptions ». Ensuite je montrerai que leur très progressive inclusion dans l’enseignement secondaire et supérieur se fait en produisant de nouvelles divisions internes aux savoirs ; et enfin je montrerai le tournant radical qu’a apporté le néo-féminisme, mais aussi la persistance des divisions et des discriminations sournoises ou indirectes d’où le rapport complexe et très différencié qu’entretiennent aujourd’hui les femmes aux savoirs savants.