2003 : 20 ans de recherches : évolutions et reconfigurations des disciplines scientifiques

Colloque organisé par le Centre d’Alembert
les 14 & 15 mai 2003
Programme
Objectifs du colloque

ALLOCUTION D’OUVERTURE
Xavier CHAPUISAT,
 Président de l’Université Paris-Sud 11

PRÉSENTATION DES TRAVAUX DU COLLOQUE
Paul BROUZENG, Directeur du Centre d’Alembert

LA SCIENCE, LE MONDE ET LA PAIX
André JAEGLE, Président de la Fédération Mondiale des Travailleurs Scientifiques

Les moyens justifient-ils la fin ? L’usage récent d’une force militaire à la pointe de la technologie nous a contraints à cette réflexion. La confiance dans sa propre force ne nuirait-elle pas à la clairvoyance ? Les rapports entre science et économie nous suggèrent une réflexion similaire. La politique scientifique européenne doit-elle se fixer pour «ultime objectif» de permettre à l’Union, selon ses propres termes, de «devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde». La Ligue des droits de l’homme nous met en garde : «Face aux mirages de la puissance technique, à ceux qui disent ‘On peut le faire … faisons-le’, les citoyens demandent ’Pourquoi le faire ?’».
Comment concevoir un débat sur les fins, associant tous les citoyens, scientifiques et non scientifiques ? Le scientifique doit écarter la tentation confortable de la raison scientifique pour fonder les choix de société. Le développement durable, quel que soit le nom qu’on lui donne, n’est pas la solution d’un système d’équations. Il comporte une prise de risque. Après tout, n’est-ce pas là la spécificité de l’être humain, sauf à se laisser transformer en chose ?

DÉBAT animé par 
Gérard TOULOUSE, Membre fondateur de l’Académie des Technologies
Les institutions scientifiques devraient dorénavant considérer la promotion et la défense du droit international (ainsi que le soutien aux principes du système des Nations-Unies) comme une de leurs missions légitimes.

Repères et références complémentaires :
– 1940 : Marc Bloch, L’étrange défaite
– 1945 : Création de l’UNESCO
Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il convient d’élever les défenses de la paix.
– 1955 : Manifeste Russell-Einstein
– 1961 : Eisenhower, les menaces du complexe militaro – industriel
– 1975 : Le moratoire d’Asilomar
– 1986 : Tchernobyl
– 1995 : Année tournant
– 2001 : Déclaration du centenaire Nobel
Le vice fomente les guerres, la vertu combat, et sans la vertu il n’y aurait pas de guerre (Vauvenargues)

REGARDS SUR LA SCIENCE CONTEMPORAINE : L’EXEMPLE DES SCIENCES BIOLOGIQUES
François GROS, Membre de l’Institut
De toutes les disciplines scientifiques, la biologie est sans doute celle qui a connu dans ces dernières décennies, les changements les plus profonds. Ceux-ci concernent, au premier chef, le champ de nos connaissances sur le rôle et le fonctionnement intime des gènes, sur le développement cellulaire ainsi que sur les interactions des êtres organisés avec leur milieu et les dysfonctionnements qui en altèrent l’équilibre.
La biologie contemporaine apporte aussi de nouveaux éclairages, à forte résonance philosophique sur les origines de la vie, les mécanismes de l’évolution et certains facteurs de l’individualité.
Cette révolution des connaissances a pour corollaire des changements profonds de méthodes, techniques et stratégies, la biologie étant devenue point de convergence de disciplines multiples, qui en modifient à leur tour les objectifs (ex: biologie des systèmes complexes).
Par les questions qu’elle soulève, les interventions qu’elle suggère ou pratique déjà sur le vivant, ou par ses retombées socio-économiques, la biologie suscite aujourd’hui espoirs et craintes, se trouvant souvent à l’épicentre des questionnements touchant à l’avenir de la science en général et à son rôle comme facteur d’émancipation et de progrès humain.

POLITIQUES DE LA SCIENCE
Table ronde de l’après-midi animée par Jean-Pierre KAHANE, Membre de l’Institut

La table ronde a porté non pas sur les vingt mais sur les cinquante dernières années, ce qui a permis de dégager des changements majeurs. Basée sur l’expérience à la fois française et internationale qu’ont les intervenants, elle a abordé les aspects actuels et ce qu’on peut imaginer du long terme.

avec les participations de :
Hubert CURIEN, ancien Ministre de la Recherche
Au cours du dernier demi-siècle, quelques traits caractéristiques de la politique de recherche dans le monde sont apparus essentiels.Les grands programmes, nucléaires et spatiaux en particulier, ont joué un rôle fédérateur important. Ils sont, certes, budgétivores, mais leur rôle est essentiel. Ils ne doivent pas éclipser les programmes d’ampleur moyenne (synchrotrons, moyens d’observation astronomique, ….) qui ont très souvent le mérite de provoquer des liaisons internationales et interdisciplinaires nouvelles.L’Europe scientifique est maintenant une réalité, qui n’est pas toujours facile à gérer ni à équilibrer. L’Europe est un puzzle à gros et petits morceaux qui forment au total une belle image. Il faut faire en sorte que les petits ne soient pas frustrés, mais n’allongent pas les délais de décisions et n’alourdissent pas la gestion. Prenons garde aussi, à ce que les petits ou les pauvres de notre monde ne se sentent pas pillés par les grands et les riches.La science a fortement changé d’allure au cours du dernier demi-siècle, et pas seulement par un changement de dimension et de vitesse, mais aussi par une modification profonde de la nature des intérêts. Je suis physicien-cristallographe. J’ai commencé ma carrière dans l’amour des milieux ordonnés et je la termine avec l’ambition impérative de comprendre le désordre. La science est une belle école d’évolution adaptative mais parfois aussi courageusement révolutionnaire.Une politique scientifique doit être, à l’image de la science, courageuse et anticipative. Certes le «principe de précaution » doit être inscrit parmi les ardentes obligations. Mais pourquoi ne pas le qualifier plutôt de «principe d’anticipation» ?

Jean-Jacques DUBY, Directeur de Supélec
Internet est certainement le facteur qui a le plus changé la recherche dans toutes les disciplines au cours des vingt dernières années. Le courrier électronique a d’abord facilité les échanges et accéléré la diffusion de l’information. Ensuite, l’apparition du World Wild Web a considérablement transformé la documentation et la recherche documentaire.Ensuite, un deuxième changement important est l’apparition d’une «industrialisation» de la production scientifique. Par industrialisation, il faut entendre l’organisation collective de la recherche, avec partage des tâches, définition des responsabilités, responsabilité hiérarchique. De plus, un autre facteur qui penche vers l’industrialisation est le fait que certaines recherches sont de plus en plus «capital intensive» (utilisation de très grands équipements). Cette industrialisation ne concerne pas toutes les disciplines, mais d’abord la physique corpusculaire, plus tard la génomique, et dans une moindre mesure d’autres disciplines comme l’épidémiologie, voire certaines branches des mathématiques. Un troisième changement, qui avait peut-être commencé il y a plus de vingt ans, concerne la modification de la perception sociale de la science, qui débouche aujourd’hui vers l’opposition de certains corps sociaux aux progrès scientifiques et techniques, opposition qui débouche elle-même sur ce qui est encore plus grave : l’interdiction pure et simple de certaines recherches par les responsables politiques.

Guy OURISSON, Membre de l’Institut
Guy Ourisson a cherché à montrer que la chimie est devenue difficile à définir. Elle conserve son rôle essentiel d’étude de la matière et de ses transformations, mais la «matière» dont il est question s’est bien diversifiée : d’une part du côté biologique, où il y a maintenant un continuum entre l’étude des molécules, ordinaires, celle des molécules «un peu grosses», celle des très grosses comme les protéines, et celle des assemblages fonctionnels comme les systèmes photosynthétiques …. d’autre part du côté des systèmes fonctionnels totalement inédits et artificiels, comme les moteurs moléculaires, les revêtements «intelligents», les systèmes optiques non-linéaires …


POLITIQUES DE LA SCIENCE ET TIERS MONDE

Mohamed Larbi BOUGUERRA,
 Ancien Directeur de l’Institut National de Recherches Scientifiques et Techniques de Tunisie (INRST) – Ancien Directeur de Recherche Associé au CNRS – Auteur de « La recherche contre le Tiers Monde » (PUF, Paris, 1993)
Dernier ouvrage paru : « Pauling, l’Einstein de la chimie, génie rebelle et humaniste » (Éditions Belin, Paris, 2002).

Telle la langue d’Esope, la science présente au Sud, un bilan pour le moins contrasté … et on peut redouter le pire, au vu de certains «progrès» de la «nouvelle biologie» ou des sciences informatiques utilisées pour contrôler et épier les gens. Les populations sont ainsi poussées au désenchantement et à la désillusion qui font le lit de l’irrationnel voire du fanatisme.
Au Sud, en effet, un lit d’hôpital sur deux dans le monde est occupé par un malade souffrant du paludisme -maladie pourtant bien décrite par Hippocrate et qui a disparu d’Italie, de Grèce et des Balkans … mais le plasmodium parasite encore deux milliards de personnes dans le Tiers Monde, les MST font de terribles ravages, le choléra est endémique dans de nombreux pays, la bilharziose affecte toute la vallée du Nil, les essais de médicaments se font illégalement et au mépris de l’éthique la plus élémentaire, les pesticides et les médicaments frelatés tuent quotidiennement dans le Sud … Pour ne rien dire des armes sophistiquées -voire à l’uranium appauvri- sinon intelligentes qui s’abattent sur les civils de l’Angola à l’Irak en passant par le Moyen-Orient.
Impérialisme et multinationales ont leur part de responsabilité dans cet état de choses mais le parti unique, l’autoritarisme et la mainmise de l’Etat national sur la culture et l’information au Sud, ont favorisé le nanisme scientifique actuel des pays du Tiers Monde.
On étudiera plus particulièrement le cas des pays arabes où la science est glorifiée en parole et où on ne rate aucune occasion pour rappeler ce hadîth (Dit authentique du Prophète) «Maudite soit la science qui n’est pas utile aux hommes» mais où, hélas ! la réalité politique condamne les élites à un conformisme stérilisant et les pousse le plus souvent dans les bras du brain drain.

LES DISCIPLINES ET LEURS RECONFIGURATIONS
Table ronde du matin animée Marie-Claude GAUDEL, Professeur à l’Université Paris-Sud
Je parlerai de la reconfiguration de la recherche en informatique depuis vingt ans (il serait sans doute plus exact de parler de «configuration». J’insisterai plus sur l’évolution des problématiques scientifiques que sur l’évolution technologique. En particulier, j’essaierai de montrer comment certaines sous-disciplines de l’informatique se sont séparées ou ont fusionné au cours de ces deux décennies.

avec les participations de :
Pierre COLLET, Directeur de recherche au Centre de Physique Théorique de l’Ecole Polytechnique
Depuis une vingtaine d’années la théorie des systèmes dynamiques a vécu une renaissance profonde et s’est transformée en une discipline transversale. Créée dans la seconde moitie du dix neuvième siècle et développée au début du vingtième, diverses raisons ont fortement ralenti les progrès pendant une quarantaine d’années. Puis des idées mathématiques nouvelles (Thom, Smale et d’autres) ont relancé la
recherche en permettant d’attaquer les problèmes non linéaires dans toutes les disciplines : théorie des bifurcations, méthodes d’analyse du chaos etc. Le développement rapide de moyens de calculs conviviaux a permis de visualiser certains objets jusque là inimaginables (fractal) de l’aveux même de très grands Mathématiciens comme R. Poincaré ou G. Julia. L’enthousiasme des nouvelles idées a réuni des scientifiques d’origine les plus diverses. Il y a certainement de nombreux enseignements à tirer de cette renaissance d’un domaine de recherches, et de la découverte de ses applications dans des domaines aussi divers.

Jean-Gabriel GANASCIA, Professeur d’informatique à l’Université Pierre et Marie Curie. Ancien Directeur du groupement d’intérêt scientifique «sciences de la cognition»
Je propose de brosser un tableau historique en deux temps : la « grande histoire des sciences cognitives » d’abord et la « petite histoire de l’IA » dans un second.
Dans un premier temps, je rappellerai brièvement ces temps bénis de la cybernétique, où des mathématiciens, des biologistes, des logiciens, des psychologues, des anthropologues et des ingénieurs réunirent pour fonder une nouvelle discipline. J’en mentionnerai les ambitions, les réalisations et les échecs de la cybernétique. Puis, j’évoquerai la naissance de l’IA dans les années cinquante, et des sciences cognitives, au carrefour de l’informatique, de la linguistique et de la psychologie, au milieu des années soixante dix. Enfin, je parlerai de la résurgence de la cybernétique (appelée aussi néo-connexionisme) dans les années quatre vingt, au moment où les neuro-sciences réinvestissent un domaine qu’elles avaient un peu négligé. Il me semble que cette histoire montre assez bien comment les contours entre disciplines ont évolué et surtout comment les recherches interdisciplinaires ont elles-mêmes marqué le paysage scientifique pendant ces cinquante dernières années. En résumé, l’interdisciplinarité n’est une nouveauté, loin de là, et elle a souvent joué un rôle régulateur dans le développement de disciplines spécialisées.
Dans un deuxième temps, je mentionnerai la « petite histoire de l’IA », celle à laquelle j’ai assisté, depuis une vingtaine d’années avec à mon sens au moins trois temps que j’essaierai de détailler :
– le réveil de l’IA (avec ce que l’on a appelé l’Intelligence Artificielle sémantique et les systèmes experts), puis l’enthousiasme qui a suivi.
– le pragmatisme qui a conduit l’IA a intégrer des disciplines voisines et à se confondre de plus en plus avec les approches numériques de la modélisation ou du traitement de données (l’apprentissage, la fouille de données, etc. sont emblématiques de cette situation).
– enfin, ce que j’appelle l' »animisme » et qui se caractérise par la volonté de créer des objets avec lesquels nous interagissons, comme avec nos semblables. Cette dernière dimension est très liée aux IHM et à l’étude de ce que l’on appelle l’émotion artificielle.
Je pourrais ainsi témoigner des frontières mouvantes l’IA, d’abord très ancrée dans l’informatique, puis s’ouvrant progressivement, et avec plus ou moins de bonheur, sur des domaines différentes : bio-informatique, linguistique, psychologie, environnement, sciences de la terre…

Hervé LE GUYADER, Professeur à l’Université Pierre et Marie Curie
Au cours de ces dernières décennies, la biologie a vécu différentes révolutions qui en font une discipline extrêmement dynamique, caractérisée par de nouveaux concepts, de nouveaux outils, de nouvelles approches. C’est ainsi que la structuration ancienne se doit d’être totalement repensée.Comment, auparavant, était découpé le paysage de la biologie ? Globalement, on peut considérer plusieurs paramètres interagissant :
– le matériel d’étude : on était zoologiste, botaniste, microbiologiste… si l’on s’intéressait respectivement à l’ étude des animaux, des végétaux, des bactéries…
– le niveau d’organisation : on distingue classiquement, en biologie, différents niveaux d’organisation – certains majeurs, certains mineurs– qui permettent de comprendre la structuration du champ du vivant : molécule, cellule, organe, organisme, populations, écosystèmes… Chaque niveau d’organisation possède ses concepts propres, et certains d’entre eux déterminent des spécialités reconnues. Ainsi, on fait de la biologie cellulaire si on étudie la cellule, de la physiologie si c’est l’organe, de l’écologie si c’est l’écosystème…
– la technique : la biologie est caractérisée par ses facultés d’emprunt aux autres disciplines scientifiques ; ainsi, on peut faire de la biochimie, de la biophysique, de la bioinformatique, des biomathématiques…
– le concept : certaines caractéristiques du vivant font de la biologie une discipline parfaitement originale, comparée aux autres disciplines de la nature. Ainsi, le phénomène de la reproduction sexuée aura pour implication l’existence de la génétique, de l’embryologie, mais également de l’évolution et de la paléontologie…
Naturellement, ces paramètres se combinent, et on peut imaginer facilement l’algèbre qui en découle.
Les révolutions récentes concernent principalement les deux premiers points ; en effet, on se rend de plus en plus compte que le découpage en niveaux d’organisation ne présente plus beaucoup d’intérêt. Par exemple, si on veut classer des organismes, on fera des phylogénies moléculaires ; si on veut faire de la génétique des populations, on prend des marqueurs microsatellites. Ainsi, le niveau moléculaire va être essentiel quel que soit le niveau d’organisation. On peut appliquer ce raisonnement aux autres catégories, et voir que, suivant l’évolution des techniques et des concepts, le découpage qui paraît à un moment pertinent s’estompe. C’est ainsi qu’actuellement, peu de personnes voient immédiatement la frontière entre la génétique et la biologie moléculaire ; l’embryologie n’a pu faire des progrès majeurs que par la génétique du développement…
La reconfiguration de la biologie se passe donc en deux phases :
– un décloisonnement complet : pour faire de la zoologie ou de l’écologie, on doit faire de la biologie moléculaire et de la bioinformatique…
– une reconstruction, qui ne peut se faire, de manière dynamique, que par rapport à des grandes questions de la biologie ; c’est ainsi que l’on voit qu’une synergie entre toutes ces approches est indispensable. Comprendre le développement d’un embryon animal nécessite des connaissances en zoologie, en cytologie, en biologie moléculaire, en génétique, en bioinformatique…
– revenir à des préoccupations, qui, dans un temps de conflit entre disciplines, ont été mises de côté comme futiles ou passéistes ; c’est ainsi, par exemple, qu’il est grand temps de former des «naturalistes», c’est-à-dire des individus qui sortent des laboratoires pour aller sur le terrain, mais avec un bagage théorique de biologie moléculaire convenable.
Une telle reconstruction ne pourra se faire que par l’intermédiaire de disciplines qui auront des questions de fond –qu’elles soient fondamentales ou appliquées– à proposer. En d’autres termes, une discipline ne pourra être vivante que si elle propose un champ de discussions, et donc de controverses.

Michel STEINBERG, Professeur émérite
La mutation des Sciences de la Terre est récente (35 ans). La démonstration de la dérive des continents eut pour conséquence la plus évidente la tectonique des plaques. Les interactions qualitatives puis chiffrées puis modélisées se produisant entre les sphères emboîtées de notre planète (du noyau à l’atmosphère sans omettre la biosphère) font depuis 20 ans l’objet de nombreuses recherches. La Terre apparaît de plus en plus nettement comme un système dynamique où toute modification affectant une des «sphères» affecte les autres. L’étude du système solaire, des météorites et des vieux cratons a, par ailleurs, permis de mieux appréhender le déroulement des phénomènes géologiques les plus anciens (de –4,6 milliards d’années à –550 millions d’années). De nouveaux regards sur l’évolution unissent biologistes, géologues et astronomes. Enfin, de nombreux problèmes de société (ressources naturelles, modifications climatiques, traitement des déchets, érosion des sols …) exigent des indications prévisionnelles que les scientifiques hésitent souvent à fournir ou se complaisent parfois à noircir.

Gérard TOULOUSE, Membre fondateur de l’Académie des Technologies
J’envisage une (brève) intervention en deux parties (la première plutôt descriptive, la seconde plutôt normative) :
1) choix d’expériences vécues au long de ma trajectoire de recherche (traversant, pour dire vite : matière, vie, esprit). Physicien théoricien, mes sujets d’étude sont passés de la matière condensée (magnétisme, transitions de phase, systèmes désordonnés) à la matière vivante (réseaux de neurones formels, systèmes nerveux), puis aux fonctions mentales supérieures (cognition, éthique des sciences) ;
2) quelques leçons tirées de ces expériences, sur les conditions institutionnelles favorables à l’émergence et l’épanouissement de nouvelles disciplines, en recherche/enseignement.

AUTRES REGARDS SUR LA SCIENCE
Séance de l’après-midi, animée par Jean-Louis MARTINAND, Professeur à l’ENS Cachan

avec les participations de :
Daniel PARROCHIA, Professeur de Philosophie des Sciences à l’Université Paul 
Valéry – Montpellier III « Les concepts d’évolution et de reconfiguration du savoir scientifique à la lumière de l’épistémologie »
Sachant qu’un recul de vingt ans ne peut permettre qu’un « point à l’estime » sur la situation actuelle du savoir, on s’interrogera surtout, dans cet exposé sur les concepts d' »évolution » et de « reconfiguration ». On tentera de montrer pourquoi, selon toute vraisemblance, le concept d' »évolution » doit être préféré à celui de « révolution » pour la période qui vient de s’écouler et dont les résultats ne remettent pas en cause, pour l’essentiel, les théories-cadres, vieilles de presque un siècle maintenant, sur lesquelles le savoir actuel est encore fondé. Quant à la reconfiguration, qui n’est ni une opération blanche, ni un simple réaménagement de notre représentation, mais une redisposition effective des savoirs dont il conviendra de situer précisément l’ampleur, nous tenterons d’en montrer la valeur heuristique. On ne doit pas déplorer ces réaménagements périodiques qui s’accompagnent généralement d’une plus-value sémantique : « les sciences s’abrègent en s’augmentant » et elles s’approfondissent en se redisposant.

Dominique PESTRE, Directeur d’Etude à l’EHESS, Directeur du Centre Koyré, Histoire des Sciences et des Techniques
Le monde des Trente Glorieuses est largement révolu, notamment en ce qui a trait aux sciences, à la confiance qu’on lui accorde comme aux places respectives de l’Etat et du marché dans son fonctionnement. La science est devenue de plus en plus un élément direct de la production économique d’une part, notamment à travers un changement profond, aux Etats-Unis, des politiques de brevets ; elle a perdu de son ‘aura’ et se trouve de plus en plus menacée ou critiqué, de l’autre, par des groupes divers lui demandant des comptes quant à ses choix et actions. Si l’on souhaite aujourd’hui pouvoir penser une politique des sciences, ou agir efficacement dans la société, il est essentiel d’avoir une analyse précise de ce qui s’est transformé dans le rapport des (techno-)sciences au social, à l’économique et au politique depuis trente ans.

Hubert COUDANNE, Professeur émérite de l’Université Paris-Sud
On ne peut jeter un regard sur la science sans noter son imbrication avec la technologie qui, en synergie avec les avancées scientifiques (mais aussi sociologiques et économiques) doit répondre aux besoins de la société.
Mais il suffit de traverser les frontières de la France pour se rendre compte que le terme même de technologie ne fait pas référence aux mêmes valeurs. Et dans notre pays où le philosophe ALAIN souhaitait «penser et juger comme on rive », la tendance naturelle -et apparemment seule valorisante- à l’élaboration, à la théorisation, relègue parfois la technologie dans l’ombre des formations sans objectif culturel. Certes, une évolution heureuse des esprits comme des disciplines scientifiques, permet de reconnaître à la formation technologique une finalité culturelle.
Et si la technologie répond à des savoirs d’action dont l’appréhension s’éloigne de la démarche strictement scientifique, en articulant l’observation, l’analyse, l’expérimentation, elle reste liée aux bouleversements culturels de la science en demeurant avec cette dernière, au carrefour des grands courants de la pensée contemporaine.

CONCLUSIONS
Roger FOURME, Président du Conseil Scientifique des Programmes